mercredi 18 février 2015

Birdman : le rêve éveillé de Michael Keaton

Les favoris dans la course aux Oscars cette année commencent tous deux par la lettre B et reposent chacun sur un gimmick, un truc de réalisation qui impressionne la presse et les spectateurs : pour Boyhood, c'est l'originalité de son tournage étalé sur douze ans qui sert les études sur la vie et le temps de Richard Linklater (il l'a toujours fait depuis son Dazed and Confused), et pour Birdman (The Unexpected Virtue of Ignorance), c'est le plan séquence, ce qui différencie les petits garçons des vrais hommes comme le disait Orson Welles. Parce qu'Orson Welles c'était un bonhomme les amis, et qu'il n'aimait pas les fils de pute.


Birdman, cinquième film du réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu, prend ainsi le contre-pied de ce qui a fait le succès des films précédents auprès des critiques notamment à Cannes à de nombreuses reprises, le montage. A la place, on obtient un film qui est composé d'un long plan séquence (ou plusieurs ? Là je ne veux pas gâcher le film, attendre une coupe potentielle fait partie du plaisir du film donc je ne dirai pas s'il y a un seul plan séquence ou plusieurs), et tout de suite une question se pose (enfin non, elle ne se pose pas, je la pose, les questions ne sont pas encore dotées d'une intelligence artificielle) : est-ce une simple révolte, un désir de se renouveler, un simple artifice pour Iñárritu ?


Non.

Voilà, au moins j'ai le mérite d'être clair !
Et bien bonsoir.

...Hmm je vais quand même en dire un peu plus.

Le film raconte la tentative pathétique d'une ex-superstar du cinéma populaire de faire "de l'art". Il adapte un roman en pièce de théâtre qu'il met en scène et dirige. Nous suivons alors cet homme, joué par Michael Keaton (ex-Batman, actuel... que dalle), lui-même ex-Birdman et actuel que dalle, dans les derniers jours avant la première du spectacle. Autour de lui gravitent des personnages qui apportent leurs conflits et couleurs à l'histoire : son ex-femme, sa fille qui sort d'une cure de désintox, son agent qui lutte contre le désespoir, son actrice principale et sa compagne, et enfin un acteur de théâtre qui est une parodie gigantesque du method acting. A tous ces conflits externes s'ajoute un conflit interne au personnage, puisque le personnage de Birdman lui parle dès qu'il se retrouve seul et le pousse à chercher au fond de lui son ancienne gloire, sa nature de super-héros - et c'est là que le film marche avec grâce sur un fil tendu entre réalité et fantasme, sans jamais se péter la gueule comme une merde.

L'intelligence de ce plan-séquence, c'est qu'il ne sert pas à représenter le temps réel, ni à créer un sentiment de vraisemblance en éliminant la notion de coupe : au contraire, plus il se prolonge, plus l'univers de ce théâtre labyrinthique semble se déformer et devenir intangible. Les couloirs s'allongent  et se tordent et les portes ne mènent jamais à la même sortie, et les percussions insistantes (presque toute la bande-son du film est uniquement composée de soli de batterie) accompagnent une descente très rythmée dans la folie. Les moments les plus vertigineux sont les sauts dans le temps, qui n'interrompent pas le plan séquence (un mot là-dessus : bien sûr, il y a des trucs, des coupes numériques qui permettent la longueur de la prise, mais on s'en contreflanche les corn flakes, on ne les voit pas et la magie opère - pas avec un scalpel, avec un fil et des points de suture), je n'avais que rarement autant jubilé devant un effet au cinéma.


Au final, c'est la qualité de la forme qui fait le film, puisque les thématiques de l'histoire n'ont rien de neuf : c'est simplement la mise en scène de l'homme qui a peur de la mort, c'est-à-dire de l'oubli, et cette mise en scène est enrichie par une direction innovatrice, des monologues grandioses (notamment celui d'Emma Stone en mode pétage de plomb, et celui de Keaton sur l'orage dans un avion), et des performances d'acteurs ahurissantes. La prestation d'Edward Norton en acteur insupportable qui vit sur scène et recherche l'authenticité jusqu'au ridicule est la plus belle que j'ai vu depuis un moment, ainsi que celle d'Emma Stone qui a elle le droit de donner le ton à la plus belle scène du film. Enfin, je ne peux pas terminer cette critique sans dire un mot sur la fin : elle est grandiose.

Oui, j'ai dit un mot sur la fin, c'est tout. Jvais quand même pas vous gâcher le film ! Nan mais oh.

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