jeudi 12 février 2015

It Follows : Carpenter, petite mort et MST, vous allez bien vous amuser !

"Votre attention s'il vous plait. Je vous rappelle que vous pouvez également acheter vos places au stand confiseries".

Ah, le MK2 Bibliothèque sort les grands moyens pour gérer un public inhabituel et inhabitué ? Les personnes qui vont au cinéma au moins deux fois par mois constituent 5% des spectateurs, et pour moi les 95% restants sont un peu des genre d'alien, dont je peux me moquer allègrement. Alors, pourquoi y-a-t-il autant de monde au cinéma pas cher de Paris aujourd'hui ? Ah mais bien sûr ! C'est la sortie de Fifty Shades of Grey. Quelle honte, aller voir un film qui présente le sexe comme quelque chose de vicié, tordu et malsain, ça n'a aucun intérêt !


Non, non, mes amis et moi, on va plutôt aller voir le nouveau film d'horreur de David Robert Mitchell, It Follows. Un film qui présente le sexe comme quelque chose de vicié, tordu et malsain, ça au moins c'est cool !

Le point de départ est simple mais efficace; une fille couche avec un garçon, celui-ci lui refile une MST bien puante, sous la forme d'une chose qui la poursuit sans relâche. La chose marche, lentement, mais toujours, et elle atteint toujours son but. Elle prend la forme de proches, et une fois qu'elle t'attrape, et ben tu meurs ! Donc là tu te dis, ha, facile, il suffit d'aller coucher avec quelqu'un d'autre et lui refiler, en mode "tag! You're it!", sauf que non non non, haha trop facile mon couillon.Tu refiles le monstre à quelqu'un, mais si ce quelqu'un meurt, ça redevient ton tour ! Je vous l'avais dit, simple, mais efficace.


Un film d'horreur centré sur la question de la sexualité dans une bande de jeunes adolescents en banlieue résidentielle aux Etats-Unis ? Après les expériences métatextuelles de Wes Craven avec Scream, ça fait un peu démodé non ? La mort, et la "petite mort", on maîtrise tous c'est du déjà vu vous ne trouvez pas messieurs les jurés ? Et ben non, même pas. Pourquoi ? Simplement parce que c'est trop cool. It Follows assume son héritage et lui fait référence et révérence tout au long du film : il a été tourné en analogique, ce qui donne des couleurs pâles et évasives, une lumière diffuse et crasse (tout ce que j'aime ! C'est vraiment triste que les diffusions en analogiques aient quasiment disparu par contre...), la musique ressemble à s'y méprendre à du John Carpenter, les maisons à celle de son Halloween... par ailleurs, le film bénéficie d'un petit plus qui m'a toujours plu dans cette niche cinématographique : un casting totalement inconnu au bataillon (du moins pour moi). Sans star-power, on oublie très vite les acteurs pour se concentrer sur les personnages et leurs actions débiles .Car oui, étant donné que le spectateur n'est pas en danger de mort, contrairement aux personnages, il peut contempler le manque de logique avec amusement et agacement: Oh mais pourquoi tu rentres là tu vois bien qu'il n'y a pas d'autre issue ? Mais cours, cours !


Et pourtant Mitchell se garde bien de ne faire que recopier sans inventer ; au contraire, il pose une esthétique bien à lui et réalise un film d'horreur très réjouissant de la première minute à la dernière. Le grain terne du film malgré les couleurs accompagne une présentation d'un monde désertique, ce qui accentue le sentiment de désœuvrement des adolescents face à la menace qui les poursuit (évidemment, tourner dans les environs de Detroit, ça aide à créer ce genre d'ambiance... "my mom told me to never go south of 8 Mile", Ouaip ! Sinon tu vas croiser Eminem). Menace qui prend souvent la forme des parents, histoire d'ajouter une petite touche d'inceste dans une oeuvre déjà bien parsemée de symboles. Par ailleurs les plans et le montage sont très riches à la fois en termes de création d'atmosphère et de participation à la narration.  Il sait utiliser la caméra, la placer au bon endroit, et surtout exploiter au maximum le hors-champ. Attention, cela ne veut pas dire que Mitchell a recourt à des putain de jump scares à la con, il n'a pas besoin de ça pour créer le malaise, la peur de la mort. 


Car au final, c'est à cela que revient le film : une simple constatation de notre mortalité et l'angoisse créé par ce savoir. Perdre sa virginité, devenir adulte... comprendre qu'un jour la mort arrive et nous enlève, comme ça. Un des principes fondateurs de ce qui fait l'être humain résumé et exploité dans un film de genre, c'est le genre de grand écart que le cinéma - et l'art - aime et peut se permettre ; cette idée est parfaitement résumée lors d'une scène à l'hôpital où une des héroïnes lit un passage bouleversant de l'Idiot de Dostoïevsky en sirotant en jus de pomme et en mangeant un sandwich avec l'air le plus normal du monde. Bouleversant.

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