vendredi 18 septembre 2015

Vers l'autre Rive : le fantôme du centième film

Voilà, 2015 et 2014 sont mes années cinéma. Depuis deux ans, j'atteins le joli nombre purement symbolique, foncièrement quantitatif mais je l'espère en substance qualitatif, de cent films sortis pendant l'année de visionnés. Et avant de parler de ce film, je veux juste dire quelques mots à ce sujet.

Pourquoi est-ce que je vois autant de films récents ? Tout d'abord, parce que j'aime connaître une année cinéma. J'aime être capable de dire "2015 est une année exceptionnelle en cinéma", et d'ailleurs je le dis déjà, car je le pense. Une centaine de films, pour un total qui je pense avoisinera les cent quarante à la fin de l'année, cela représente à peu près 15% des sorties en France, donc vu comme ça, c'est pas beaucoup en fait. Mais c'est assez pour reconnaître une année. Ensuite, c'est parce que j'adore aller au cinéma. Si je voulais avoir l'air niais, étrange, ou spirituel, je dirais que c'est mon temple, et vu que je suis niais étrange et spirituel : c'est mon temple.


Parfois on me demande comment je fais pour en voir autant ? Sachant que j'ai un emploi qui me prends du temps, évidemment, mais que je fais aussi d'autres trucs (la troupe de comédie musicale, la musique, les films qu'on réalise...), donc oui, clairement, c'est compliqué. Mais, si je peux me permettre de reprendre Danniel Pennac dans son Comme Un Roman : on trouve le temps pour. Par exemple, contrairement à la majorité des gens, je ne regarde presque plus de séries. A la place, je vais regarder un film, chez moi ou au cinéma. Je prends le temps d'en voir, parce que c'est ma passion, et je prends le temps d'écrire, parce que c'est mon autre passion. Et savoir que, toi, petit lecteur, ou grand d'ailleurs je ne suis pas raciste, tu prends le temps de me lire parfois, peu importe ce que tu penses ou de moi ou de mes mots ou de ces films, et bien cela me fait incroyablement plaisir. Alors merci. Avoir un endroit où je peux écrire et jurer comme j'aime le faire, et sans être jugé, c'est plus que merveilleux, c'est putain de merveilleux. Et histoire d'être parfaitement logique, j'en profite pour annoncer dès maintenant que je vais commencer à écrire sur un nouveau site, nommé Le Titre, et j'espère continuer ce blog en parallèle. Voilà voilà.
Donc, un centième film. J'aime bien les rituels, et l'an dernier au même point j'avais choisi méticuleusement une oeuvre qui allait avoir quelque chose de particulier ; car ce que j'attends du cinéma, c'est de me surprendre, de me montrer ce que je n'ai pas encore vu et me faire réfléchir d'une autre manière. L'an dernier, c'était White Dog, un film hongrois dans lequel des chiens se révoltent et attaquent une ville. Cette fois, c'est Vers l'Autre Rive, le nouveau film de Kyoshi Kurosawa, et je tiens à remercier Le Marché du Film de m'avoir invité à cette projection privée.


...Vous êtes fous ? Jamais le Marché du Film m'invite moi à une projection, petit bloggeur sans défense. Non non, j'étais juste le plus one de ma superbe amie Charlotte, grande star dans le monde de la distribution (big up Toronto!), tout simplement. Merci Charlotte ! 
Et un film donc, très particulier, puisqu'il s'agit pour Kurosawa de continuer à parler de fantômes, comme il a pu beaucoup le faire dans sa carrière, mais d'en parler plus directement avec amour. Oui, nous avons ici la belle et triste histoire d'une femme qui reçoit la visite de son mari, trois ans après sa mort. Il a marché pendant trois ans pour la rejoindre, depuis là où il est mort, et ensemble ils vont entreprendre un voyage pour qu'elle découvre ce qu'il a vu. C'est donc un road trip émouvant, qui nous fait découvrir la campagne du Kantō, et comme les conventions l'appellent, nous amène à rencontrer des hommes et femmes qui ont eux-mêmes leurs propres histoires servant à illustrer le voyage spirituel, telle des paraboles en fait.


Pourquoi est-il mort ? Pourquoi revient-il la voir ? Que veut-il lui montrer ou lui faire comprendre avec ce voyage ? Ces questions ne sont jamais adressées directement mais sont assez évidentes dans la narration pour envahir l'image et nous projeter dans l'esprit tourmenté de l'héroïne (Eri Fukatsu, superbe) qui est en proie à des sentiments extrêmement conflictuels, un sentiment accentué par le fait que presque toutes les scènes du film semblent exister dans un contre-temps. Elles ne commencent jamais dans l'action, toujours après son début, légèrement ou grandement, et après tout quoi de plus normal puisque l'on s'intéresse à l'après-coup, aux fantômes, au deuil.


Car c'est un film sur le deuil, et qui témoigne d'un rapport japonais à la mort beaucoup plus sain que l'on peut le voir dans d'autres pays (et le notre, par exemple, ben oui, c'est un élément de comparaison facile, plus que par exemple, un pays que je ne connais pas du tout, genre le Turkménistan). L'acceptation de la mort, le pardon des fautes qui n'ont pas eu le temps d'être réparées, rattrapées par la vie qui cesse, sont au cœur du film de Kurosawa. Le tout est sublimé par une musique très à l'ancienne, très expressive et riche à la façon des films de l'Hollywood classique comme nous l'a dit le réalisateur avant la séance, et les moments d'existence de cette musique sont extrêmement rafraîchissants car impossible à prédire. En effet, il n'y a rien de pire que ce moment dans un film où l'on sait que la musique doit arriver, et qu'elle le fait effectivement, pour accompagner le sentiment sans originalité. Rien de pire, à part peut-être le nazisme.


La mise en scène de Kurosawa, à la fois dans ses choix de cadrage et de mise au point (je pense notamment à une longue scène avec la majorité de l'écran envahie par le flou), mais aussi dans sa maîtrise du rythme globale et de l'émotion, fait vraiment la qualité du film. D'ailleurs, il se permet par moments de rappeler qu'il maîtrise les histoires de fantômes "monstrueuses", et que quoi qu'il arrive, une telle histoire a de quoi faire peur ; ainsi certaines scènes utilisent son talent et retournent l'estomac comme je ne l'avais jamais vécu devant un film de la sorte. Ce n'est pas pour rien qu'il a reçu le prix de la mise en scène dans la sélection un Certain Regard à Cannes. Je ne sais pas trop comment m'organiser et dire les choses autrement : Vers l'Autre Rive est un beau film, touchant, avec des personnages fragiles, beaux et pas toujours aimables tout en étant toujours aimant. Il sort à la fin du mois, c'est mon centième, et je le recommande.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire